Aujourd’hui, la question des problèmes d’orthographe rayonne largement hors de la sphère scolaire. Avec l’essor du numérique dans le monde professionnel, chacun est amené à communiquer par écrit. D’un point de vue personnel, les réseaux sociaux nous engagent de plus en plus à manier le clavier. Et les faiblesses dans la langue de Molière deviennent donc d’autant plus visibles que l’orthographe française est complexe. La baisse du niveau en la matière est d’ailleurs régulièrement mise en lumière par la comparaison des scores obtenus à une même dictée selon les époques.
« On a fait faire la même dictée à des élèves de CM2 en 1987 et aujourd’hui, dans les mêmes conditions. En 1987, les élèves faisaient dix fautes dans la dictée, aujourd’hui ils en font 20 », rappelait d’ailleurs ce mercredi 4 janvier 2023 Pap Ndiaye dans une interview sur BFM TV, citant un panel de méthodes classiques comme la dictée pour faire face aux « difficultés majeures en ce qui concerne les savoirs fondamentaux ».
Alors, qu’en penser ? On pourrait imaginer recourir à une réforme simplifiant radicalement l’orthographe. Un recours pourtant fort improbable : la société peine encore à admettre, et encore plus à appliquer, les rectifications publiées au Journal officiel en 1990 et qui ne font que corriger certaines exceptions et simplifier quelques complexités comme l’usage du trait d’union, ou l’accord des noms composés.
Si l’on ne peut pas agir sur l’orthographe elle-même, reste à en améliorer l’apprentissage. Aujourd’hui, on voit se développer un véritable business de ces remises à niveau, avec des organismes privés promettant de renforcer votre orthographe, celle de vos salariés ou même de vos étudiants de façon ludique et efficace. Cette tendance à externaliser le problème ne doit pas laisser croire qu’il n’y aurait rien à faire au sein de l’école pour aider les élèves à progresser.
Des dictées pour apprendre
Alors sait-on vraiment comment enseigner l’orthographe de façon plus efficace ? En fait, cette question renvoie à un problème plus vaste, celui de la validation, par des données probantes, de l’efficacité d’une pratique d’enseignement. Faire le choix d’une méthode à partir de l’évaluation scientifique de son efficacité est sans nul doute une excellente idée, même s’il reste du chemin à parcourir avant que cela n’entre dans les habitudes.
C’est donc avec la volonté de fournir des données valides pour éclairer les choix des pratiques pédagogiques que nous avons testé l’efficacité d’une autre forme de dictée sur les progrès en orthographe des élèves. Avec une place toujours prédominante dans le panel des exercices proposés pour travailler l’orthographe, la dictée soulève encore les passions aussitôt qu’on l’évoque, même au détour d’un discours.
Mais l’exercice d’aujourd’hui n’est plus celui d’autrefois, uniquement utilisé comme évaluation, au pire comme moyen de sanction et de sélection. Non, aujourd’hui la dictée se doit d’être formative et les propositions sont nombreuses pour qu’elle devienne un véritable dispositif d’apprentissage.
Le dispositif d’apprentissage que nous avons testé est très simple : il s’agit de pratiquer régulièrement un exercice de dictée sur un support guidant l’écriture. Chaque mot du texte est à écrire dans un « squelette », composé de cases indiquant son nombre de lettres, leur forme (avec des lettres montantes ou descendantes) et la présence de « graphèmes », plusieurs lettres associées en un seul son ou « phonème » (comme « ou », prononcé « /u/ »). Ainsi, les élèves sont aidés dans leur production et obligés, à chaque fois que leur premier choix orthographique ne correspond pas au squelette fourni, de réfléchir activement (par exemple en se remémorant une règle d’accord qu’ils allaient oublier d’appliquer) et de modifier leur production en conséquence.
Une efficacité relative au niveau des élèves
L’hypothèse testée était que la pratique régulière d’une telle dictée engendrerait une progression en orthographe plus importante que la pratique, aussi régulière et sur une période identique, d’une dictée simple, sans « squelette ». 121 élèves issus de 6 classes de sixième ont participé à l’expérimentation. Ils ont été répartis en deux groupes équivalents sur un ensemble de critères comme la proportion d’élèves issus de chaque établissement et la proportion de forts et faibles en orthographe.
Pendant huit semaines, l’un des groupes a fait une dictée guidée par semaine, l’autre groupe une dictée simple. Les huit textes ont été choisis par chaque enseignant des classes participant à l’étude, parmi un panel de dix-sept dictées de même longueur (58 à 61 mots), toutes issues d’ouvrages scolaires de sixième. Les enseignants dictaient chaque semaine un texte différent, en suivant un protocole précis afin de garantir au mieux des conditions de travail équivalentes dans toutes les classes.
À la fin de la période d’entrainement, les résultats montrent que, conformément à notre hypothèse, la pratique des dictées guidées engendre une progression en orthographe plus importante que la pratique des dictées simples, mais uniquement pour les élèves ayant un niveau « faible mais pas trop » en orthographe (ayant entre 70 et 85 % de mots corrects à la dictée de prétest).
Les élèves vraiment très faibles en orthographe (moins de 70 % de mots corrects au prétest) ont significativement progressé en huit semaines, mais de façon équivalente dans les deux groupes.
Aider à mobiliser les règles
On peut supposer que, grâce aux « squelettes » fournis lors des dictées guidées, les élèves « faibles mais pas trop » ont pu mobiliser des règles orthographiques qu’ils avaient du mal à solliciter spontanément, même s’ils les connaissaient « en théorie ». Pour ces élèves, le guidage proposé faciliterait donc la réflexion explicite sur leurs productions écrites et, de là, la consolidation et l’application plus systématique de connaissances qu’ils possèdent déjà au moins partiellement.
Les élèves très faibles en orthographe ont bien progressé mais, pour eux, les dictées guidées n’ont pas montré une efficacité supérieure aux dictées simples. Ce résultat suggère que le dispositif, pour être plus efficace même pour des élèves très faibles, doit sans doute être amélioré. On pourrait par exemple facilement l’associer à un travail de réflexion collective pendant la dictée, comme proposé dans la « phrase dictée du jour » ou la « dictée 0 faute ». Mais il conviendrait ensuite d’évaluer l’efficacité spécifique de ce nouveau dispositif d’apprentissage…
Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que l’étude décrite ici, bien que présentant certaines faiblesses (comme le petit nombre d’élèves testés) et exposant des résultats somme toute assez modestes, a cependant le mérite d’illustrer un exemple de protocole expérimental (prétest–entrainement–post-test, avec un groupe cible comparé à un groupe témoin) qu’il serait judicieux de développer en terrain scolaire pour éclairer les choix des pratiques d’enseignement et améliorer l’apprentissage de tous. L’école d’aujourd’hui en a besoin !
Par Marie-Line Bosse, Enseignante-chercheuse à l’UGA, LPNC, co-responsable Action 3 du pôle Pégase.
Cet article est provient du site The Conversation : lien vers l’article.