Le projet « E-MOTION » porté par Damien Tessier (SENS , UGA) a été sélectionné pour obtenir un financement du pôle Pégase.

Afin d’améliorer l’apprentissage des savoirs fondamentaux, la motivation et le bien-être des élèves à l’école, l’objectif du projet E-MOTION est de tester l’effet d’un programme proposant des pauses actives et des pratiques améliorant les compétences émotionnelles, sur les capacités attentionnelles, la motivation, le bien-être, et les performances scolaires des collégiens en mathématiques et en français. Si l’efficacité de chacun de ces deux leviers – pauses actives et développement des compétences émotionnelles – est établie, aucune étude n’a jusqu’à présent testé leur efficacité combinée. Il s’agira pour les enseignants de mettre en œuvre les différentes pratiques proposées dans le programme EMOTION après avoir suivi le MOOC E-MOTION et participé à la journée de formation. L’étude impliquera 30 enseignants de Mathématiques et de Français sur une année scolaire, et leurs élèves (environ 750) répartis dans un groupe expérimental, et un groupe contrôle retardé. Le programme et le MOOC seront au préalable coconstruits avec des enseignants.

Damien Tessier revient en détails sur les enjeux et objectifs du projet.

Situation générale et problématique

Les préoccupations actuelles des enseignants, et de la communauté scolaire, concernant les résultats et l’engagement des élèves dans les apprentissages font écho aux différentes enquêtes menées en France et dans plusieurs pays industrialisés. Par exemple, l’enquête TIMSS (2019) montre que la moyenne des élèves français de 4ème en sciences se situe sous la moyenne internationale des pays de l’Union Européenne et de l’OCDE (DEPP, 2020a) ; et le dispositif Cedre met en évidence le fait que les performances en mathématiques des élèves de 3ème sont en baisse en 2019 par rapport à 2014, et que la proportion d’élèves en difficulté continue d’augmenter pour atteindre près d’un élève sur quatre (DEPP, 2020b). En français, le constat est assez similaire : les compétences orthographiques mesurées en CM2 diminuent globalement en 2015 par rapport à 2007 (DEPP, 2016).

Outre les performances scolaires, les préoccupations se portent également sur la motivation et le bienêtre des élèves en tant que déterminants de l’engagement dans les apprentissages. En effet, l’enquête PISA de 2015 montre que la France a le plus faible indice de motivation scolaire de tous les pays de l’OCDE (OCDE, 2018), et les rapports UNICEF (2007 ; 2013) révèlent que le niveau de bien-être scolaire des jeunes Français se situe dans le dernier tiers des pays de l’OCDE.

L’ensemble de ces constats fait ressortir la nécessité d’œuvrer à l’amélioration de l’engagement des élèves dans les apprentissages pour favoriser leur réussite scolaire. Dans cette perspective, le projet E-MOTION vise à concevoir un programme d’activités physiques et de développement des compétences émotionnelles et à tester son effet sur les processus motivationnels et attentionnels pouvant favoriser l’engagement des élèves dans les apprentissages en mathématiques et en français.

Ce projet est proposé par une équipe de chercheurs du laboratoire SENS et de l’Observatoire

Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (OCTRA) de la MSH de l’UGA qui a développé de solides compétences dans la conception, l’implémentation et l’évaluation de programmes de formation pour les enseignants dans les domaines de la motivation, de l’activité physique et du bien-être scolaire.

Elle a notamment développé le projet ProMoBE https://promobe.univ-grenoble-alpes.fr) qui consiste à promouvoir la motivation et le bien-être à l’école, le projet IMPACT (https://www.impactpe.eu), qui visait à développer des habitudes de pratiques physiques durables chez les adolescents via l’EPS, et également contribué à la diffusion du projet Unplugged (https://otcra.fr/categories/outils/college/unplugged/) qui ambitionne de prévenir les addictions par le développement des compétences psychosociales des élèves.

 

Argumentation scientifique du projet

En France, depuis la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la

République (2013) le développement des compétences psychosociales (e.g., compétences

relationnelles, de pensée critique, de gestion des émotions) fait partie intégrante des objectifs du parcours éducatif de santé. La littérature scientifique met en évidence que le développement de ces compétences ne favorise pas seulement l’amélioration du bien-être des élèves (réduction de l’anxiété et de la dépression), mais également l’apaisement du climat scolaire (réduction du harcèlement et des violences) et surtout l’amélioration des résultats scolaires (pour une synthèse, voir Durlak et al., 2011; Taylor et al., 2017). Parmi les différentes compétences psychosociales, le développement des compétences émotionnelles semble particulièrement prometteur pour optimiser la motivation, le bienêtre, les capacités cognitives et les résultats scolaires des élèves (Shankland et Rosset, 2016)

 

Compétences émotionnelles et engagement dans les apprentissages

Malgré l’importance des émotions dans le contexte éducatif (Hargreaves, 1998), peu d’attention a été accordée au développement de l’intelligence émotionnelle (Frenzel, 2014). Le concept d’intelligence émotionnelle renvoie à la capacité d’analyser l’information relative à ses propres émotions ainsi qu’à celles d’autrui, et d’être en mesure de porter attention, de comprendre, d’utiliser et de gérer avec efficacité ces émotions (Salovey & Mayer, 1990). Ces dernières années, le terme de compétence émotionnelle tend à être substitué à celui d’intelligence émotionnel afin de souligner le caractère labile de ces compétences qui ne sont pas innées ou fixes comme pourrait le suggérer le terme d’intelligence (Kotsou et al., 2011; Nelis et al., 2011). Cinq compétences émotionnelles ont été mises en évidence : l’identification, la compréhension, l’expression, la régulation, et l’utilisation des émotions (Brasseur et al., 2013; Mayer & Salovey, 2004; Mikolajczak, 2009). Les individus qui possèdent des compétences émotionnelles élevées sont davantage capables d’identifier leurs émotions et celles des autres, de les exprimer de manière socialement acceptable, d’en comprendre les causes et les conséquences, de les réguler lorsqu’elles ne sont pas adaptées au contexte ou à leurs buts, et de les utiliser pour améliorer leurs pensées et actions (Salovey & Mayer, 1990). Les recherches ont mis en évidence une relation positive entre les compétences émotionnelles et la réussite scolaire : les élèves ayant les compétences émotionnelles les plus développées sont ceux qui rapportent les plus hauts niveaux de réussite scolaire (MacCann et al., 2020; Perera & DiGiacomo, 2013; Thomas et al., 2017).

D’autres études montrent que les compétences émotionnelles des élèves prédisent leur réussite scolaire plusieurs années plus tard (Dacre Pool & Qualter, 2012). Plusieurs études interventions récentes ont mis en évidence l’efficacité de programmes visant le développement de compétences émotionnelles des élèves dans le cadre scolaire (Amundsen, 2020 ; Rodriguez-Ledo, 2018).

Outre les compétences émotionnelles, la littérature met également en évidence que l’activité physique, et notamment la rupture des périodes longues de sédentarité, est associée à une amélioration des capacités cognitives des élèves (Layne et al., 2021). Plus spécifiquement, dans le champ de l’éducation, des interventions novatrices ont mis en évidence la pertinence de mettre en place des pauses dites « actives », au cours des périodes d’apprentissage.

 

Pauses actives et engagement dans les apprentissages

Les pauses actives peuvent être définies comme de courtes séquences (10 minutes ou moins) d’activité physique de nature aérobie, anaérobie ou posturales, réalisées en classe, pendant le cours ou à l’intercours (Watson et al., 2019, 2019). Ces pauses actives regroupent des activités aérobies telles que des montées de genoux et des “jumping jack” ; des activités anaérobies telles que du gainage sur une chaise ou contre un mur ; ou bien des activités posturales regroupant des étirements ainsi que des tâches d’équilibre unipodales. Ces pauses actives ont pour objectif de briser les longues périodes de sédentarité des élèves et permettre une réactivation cognitive et physiologique, sans nécessiter d’équipements particuliers ni d’aménagement spécifique de l’environnement de classe (Howie et al., 2015). Les quelques interventions ayant mis en place ces pauses actives dans le contexte de la classe, au primaire et au secondaire, rapportent une diminution des comportements perturbateurs, une amélioration perçue par le professeur de l’attention des élèves (McMullen et al., 2014; Watson et al., 2019), une amélioration de l’attention sélective (Janssen et al., 2014), ainsi que des performances plus élevées sur un test standardisé de mathématiques (Howie et al., 2015).

 

Objectifs et hypothèses.

Si l’efficacité de chacun de ces deux leviers – pauses actives et développement des compétences émotionnelles – est établie, aucune étude n’a jusqu’à présent testé leur efficacité combinée. Ainsi, le projet E-MOTION vise à tester l’effet d’un programme proposant des pauses actives et des pratiques améliorant les compétences émotionnelles sur les capacités attentionnelles, la motivation, le bien-être, et les performances scolaires des élèves au collège en mathématiques et en français. Par ailleurs, ce projet ambitionne de produire et d’utiliser des ressources pédagogiques et numériques « clés en main » – le guide du programme E-MOTION et un MOOC pour les enseignants – afin qu’elles puissent être largement diffusées dès la fin du projet si les résultats sont concluants. Pour cela, le projet envisage la réalisation des deux études – une étude pilote pour développer le matériel d’intervention et une étude intervention pour tester l’efficacité du programme EMOTION – menées en étroite collaboration avec des équipes éducatives de collèges.

Au regard des éléments présents dans la littérature actuelle, nous faisons l’hypothèse que les élèves du groupe intervention rapporteront une amélioration de leurs performances scolaires, de leur motivation envers le français et/ou les mathématiques, et de leur bien-être scolaire.

 

Description du projet (méthode, planification)

 

Étude 1. Valider les outils de mesures et produire des ressources pédagogiques et numériques coconstruites avec des enseignants de collège. Ce matériau pédagogique constituera le contenu de l’intervention qui sera testée dans l’étude 2.

 

Participants. 10 à 15 enseignants volontaires de mathématiques et de français, pour construire le programme et le MOOC E-MOTION, ainsi que des enseignants d’EPS pour co-construire les pauses actives ; et 100 à 200 enseignants pour validation des outils de mesure à destination les enseignants qui ne sont pas encore validés dans la littérature.

 

Protocole. Co-construire le programme d’activité physique et de développement des compétences émotionnelles avec les enseignants impliqués dans le projet E-MOTION, et co construire un MOOC expliquant les fondements théoriques de l’efficacité des pauses actives et du développement des compétences émotionnelles, présentant les différentes activités du programme et les illustrant avec des séquences vidéo pour permettre aux enseignants de se projeter dans la mise en oeuvre de ces pratiques en classe.

 

Mesures.

Chez les élèves, tous les outils de mesure sont déjà validés (voir tableau 1 en annexe). Chez les enseignants, tous les outils de mesure seront à valider dans l’étude 1 (voir tableau 1 en annexe)

 

Analyses des données.

Analyses factorielles confirmatoires pour examiner la validité de construit des questionnaires.

 

Étude 2. Tester l’efficacité du programme E-MOTION

 

Participants. L’échantillon sera composé de 30 classes de collège – représentant un effectif d’environ 750 élèves – et de 30 enseignants de Mathématiques et de Français. Quinze enseignants et leurs élèves constitueront le groupe expérimental, et 15 autres enseignants et leurs élèves représenteront le groupe contrôle retardé. Ce deuxième groupe recevra l’intervention dans la deuxième partie de l’année (voir protocole). Les classes impliquées dans le projet seront les classes de début de collège (i.e., 6ème et 5ème) car, en France, les écarts se creusent tout au long de la scolarité entre les bons élèves et ceux qui rencontrent des difficultés, et la lutte contre l’échec scolaire est d’autant plus difficile que les actions sont tardives (PISA, 2015). Afin d’éviter les biais de contamination entre les groupes, l’affectation des classes sera réalisée de manière aléatoire et stratifiée : dans un même établissement, les enseignants volontaires pour participer à l’étude seront affectés dans le même groupe. Afin que l’échantillon soit représentatif de la diversité des publics scolaires, nous veillerons à ce que les trois types d’établissements scolaires (i.e., centre-ville, rural et réseau d’éducation prioritaire) soient représentés dans chacun des groupes. Le partenariat avec le rectorat de l’académie de Grenoble (notamment le service Formation Tout au Long de la Vie) facilitera la mise en relation avec des collèges partenaires et des enseignants volontaires. Afin de contrôler « l’effet dose-réponse » il faudra faire attention à ce que des enseignants issus du même établissement n’aient pas de classe en commun car les effets de l’intervention sur cette classe pourraient en être augmentés par rapport aux autres classes dont seulement un seul professeur (de mathématiques ou de français) serait impliqué dans le projet.

 

Protocole.

L’étude se déroulera sur l’année scolaire entière. Comme l’indique le schéma ci-dessous, trois temps de mesure répartis sur l’année permettront de tester les effets de l’intervention sur les résultats scolaires, la motivation, l’attention sélective, et les compétences émotionnelles des élèves :

Les enseignants du groupe expérimental participeront courant novembre à deux temps de formation. Le premier temps de formation consistera pour les enseignants à suivre le MOOC EMOTION (développé dans l’étude 1). Ce MOOC développera les fondements théoriques de l’efficacité des pauses actives et du développement des compétences émotionnelles, présentera les différentes activités du programme et les illustrera avec des séquences vidéo permettant aux enseignants de se projeter dans la mise en oeuvre de ces pratiques. Après avoir suivi le MOOC, les enseignants participeront à une journée de formation en présentiel qui leur donnera l’occasion d’animer ces pratiques entre pairs dans un contexte simulé, et d’échanger sur les conditions requises à la mise en oeuvre de ces pratiques en classe (e.g., posture de l’enseignant, moments idoines pour proposer ces pratiques en classe). De début décembre à fin février, les enseignants du groupe expérimental proposeront le programme à leurs élèves.

Les enseignants du groupe contrôle retardé bénéficieront de ces deux temps de formation en février juste avant le deuxième temps de mesure et disposerons de la période allant de début mars à fin mai pour le mettre en oeuvre.

Contenus du programme E-Motion : plusieurs activités pourront être proposées pour les pauses actives (e.g., musculation, courses sur place, jeux d’équilibre) et pour développer les compétences émotionnelles (e.g., roue de émotions, météo intérieure, stop-feel-go). Elles seront à développer en collaboration avec les enseignants à l’occasion de l’étude pilote.

Mesures. Elles se dérouleront mi-octobre pour le temps 1, début mars pour le temps 2, et mi-juin pour le temps 3. Voir tableau 1 en annexe pour connaître les variables mesurées et outils utilisés.

Manipulation check. Afin de vérifier que le programme a bien été implémenté par les enseignants, un questionnaire basé sur plusieurs indicateurs de fidélité sera proposé aux enseignants : nombre de séances réalisées, nombre de pratiques proposées, durée des pauses actives ou des pratiques émotionnelles, qualité de climat de classe lors de ces pratiques. A partir de ces différents indicateurs, un indice de fidélité sera calculé.

Analyses des données. Afin de prendre en compte la nature « emboitée » des données (i.e., les mesures répétées sur chaque participant au niveau 1, les participants au niveau 2, et les classes au niveau 3), des modèles multiniveaux de croissance seront réalisés à l’aide du logiciel R. Les hypothèses seront testées en examinant les effets d’interaction temps × condition. Dans ces modèles, l’âge ainsi que le sexe des participants seront inclus comme variables de contrôle.

Description des ressources à produire

. Programme détaillé des pratiques adaptées au contexte scolaire permettant de développer les compétences émotionnelles des élèves et des pratiques permettant d’animer des pauses actives

. MOOC à module de formation à l’utilisation du programme E-MOTION pour les enseignants

Planning prévisionnel général

. 2021-2022 : co-construction du programme et du MOOC E-MOTION avec des enseignants ; validation des mesures pour les enseignants

ð Livrables : programme et MOOC E-MOTION

. 2022-2023 : étude d’efficacité du programme E-MOTION

. 2023-2024 : valorisation des résultats et large diffusion des ressources pédagogiques et numériques pour la formation des enseignants. (Pour plus de précisions, voir tableau 2 en annexes).