Le projet de recherche ECRIMO2 porté par Marie-Line Bosse (LPNC, UMR5105) a été sélectionné pour obtenir un financement du pôle Pégase.

Ce projet vise à réduire les difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture au cours préparatoire (CP) en favorisant 2 pratiques reconnues comme efficaces, la pratique de l’encodage et les activités ciblées menées en petits groupes d’élèves à risque. ECRIMO est une application pour favoriser la pratique autonome de l’encodage et permettre aux enseignants de travailler plus souvent avec de petits groupes d’élèves. Un 1er prototype pour tablette a été développé dans un précédent projet. Il sera amélioré dans une démarche de recherche collaborative avec une équipe de 5 enseignantes. Son utilisabilité et son acceptabilité seront mesurées et optimisées entre le 1er prototype et le produit final. Son efficacité sera testée en 2 temps, sur les progrès des élèves mais aussi sur les pratiques enseignantes (notamment la fréquence des activités en petits groupes). Enfin, le projet répondra également à la question de l’intérêt de la gamification pour ce type d’application.

Marie-Line Bosse revient en détails sur les enjeux et objectifs du projet.

Situation générale et problématique

La première année d’apprentissage de la lecture (cours préparatoire, CP) est une étape clé pour la réussite scolaire ultérieure (e.g., Cunningham & Stanovich, 1997; Nordström et al., 2016; Sprenger-Charolles et al., 2009). En France, il est attendu que l’acquisition du code alphabétique soit complète à la fin du CP (MENJ, 2018) mais de trop nombreux élèves n’atteignent pas ces objectifs : près de 30 % d’entre eux entrent au CE1 avec une lecture fragile (Andreu et al., 2019). Il est donc fondamental de s’interroger sur les moyens d’améliorer cet apprentissage. Les recherches ont établi des données robustes sur l’efficacité de certaines pratiques d’enseignement (Castles et al., 2018; Torgerson et al., 2019), notamment la pratique de l’encodage (e.g., Henbest & Apel, 2017) et les actions quotidiennes d’aide spécifique aux élèves fragiles, en petits groupes (e.g., Ehri et al., 2001). Cependant, ces pratiques peinent à se développer dans les classes. Suivre une démarche de co-conception alliant chercheurs et enseignants (Cèbe & Goigoux, 2018; CSEN, 2021; Gentaz, 2018) est un moyen de développer des ressources pour favoriser l’évolution des pratiques.

Nous souhaitons co-concevoir un outil pour la classe de CP qui permette aux professeurs des écoles, à la fois de faire pratiquer l’encodage aux enfants de façon régulière, et d’installer dans leur classe des temps de travail autonome en petits groupes, pour agir de façon ciblée auprès des élèves fragiles. Il est attendu que l’alliance de ces deux pratiques diminue significativement les difficultés d’apprentissage de la lecture-écriture au CP.

Une première version de cet outil a été développée dans le cadre de la thèse CIFRE de Cynthia Boggio (soutenance automne 2021), dirigée par Marie-Line Bosse et Maryse Bianco en collaboration avec les Editions Hatier. La démarche de co-conception proposée par Cèbe et Goigoux (2018) a été adoptée. Certaines étapes de la démarche ont déjà été réalisées, ce qui a permis de valider les critères d’utilisabilité et d’acceptabilité dans les classes. Cependant, l’outil actuel n’est pas encore satisfaisant en termes d’efficacité. Le projet vise à poursuivre la démarche pour aboutir à un outil qui ait une efficacité clairement démontrée sur l’apprentissage du langage écrit en CP.

Argumentation scientifique du projet

L’encodage, chez le débutant lecteur, correspond à l’action de segmenter un mot en unités sous-lexicales (phonèmes ou groupes de phonèmes) et de leur faire correspondre des lettres (produites par écriture manuelle, clavier, lettres mobiles déplaçables, épellation, etc.). Proposer de tels exercices dès les débuts de l’apprentissage est très profitable à l’acquisition du lire/écrire (e.g., Ehri, 1989; Henbest & Apel, 2017; Weiser & Mathes, 2011), notamment pour les jeunes lecteurs en difficulté (e.g., Ise & Schulte-Körne, 2010). Cependant, cette activité d’encodage n’est pratiquée en CP que 54 min par semaine en moyenne, avec une variabilité importante (15% des classes n’y consacrent que 34 min, Goigoux, 2016). Le projet ECRIMO2 vise à augmenter le temps hebdomadaire consacré à l’encodage en classe de CP.

De nombreuses recherches ont démontré l’importance du travail en petits groupes homogènes pour l’aide aux élèves en difficulté d’apprentissage. Par exemple, la méta-analyse du National Reading Panel (Ehri et al., 2001) montre que les entrainements phonologiques sont plus efficaces en petits groupes. Cependant, l’enseignement en petits groupes est également rare en classe de CP (Goigoux, 2016), même s’il a été favorisé récemment par les effectifs réduits en  classe de REP-REP+.

Pour tenter de favoriser conjointement ces deux pratiques reconnues comme efficaces en CP (encodage et aide spécifique en petits groupes), une application proposant des exercices d’encodage sur tablettes tactiles semble une solution intéressante. En effet, l’encodage est un exercice silencieux (l’enfant écrit) et le numérique permet de générer automatiquement différentes aides (e.g., feedbacks immédiats) qui permettent une pratique d’encodage en totale autonomie. Pendant qu’une partie des élèves travaille en autonomie, l’enseignant peut diriger une activité avec le petit groupe restant.

Cependant, les plus-values du numérique peuvent s’avérer parfois discutables (Amadieu & Tricot, 2014) et justifient une conception très réfléchie des applications. Plusieurs analyses suggèrent que les nouvelles technologies ont un effet positif mais plutôt modéré sur les apprentissages, en lecture par exemple (Potier Watkins et al., 2020; Ruiz et al., 2017). Quelques études suggèrent une efficacité des interfaces numériques pour le traitement de texte (Little et al., 2018), pour l’apprentissage de l’orthographe (Elimelech & Aram, 2020) et pour l’apprentissage du geste graphique (Bonneton-Botté et al., 2020; Jolly & Gentaz, 2013) mais à notre connaissance, aucune étude n’a évalué l’intérêt du numérique dans la pratique d’encodage en CP. Notre projet testera l’efficacité de cette pratique.

Un premier prototype, l’application ECRIMO1, a été développé et testé en plusieurs étapes. Un premier test (Boggio et al., soumis) a permis de vérifier la faisabilité d’une tâche de dictée sur tablettes tactiles en CP. Lors de la seconde phase, les items des exercices (syllabes, mots et groupes de mots dictés à l’élève) ont été choisis en fonction de la période de test dans l’année. 96 exercices (10 items par exercice) ont été construits. Pour chaque item, l’enfant entend le mot et doit l’écrire en déplaçant des étiquettes lettres. Un feedback lui est donné et s’il fait une erreur, un deuxième essai est proposé; il ré-entend le mot et corrige les lettres erronées, les lettres correctes étant conservées. La gamification des exercices, c’est-à-dire le fait d’apporter du jeu dans des situations au départ non ludiques (Deterding et al., 2011; Educause, 2011; Werbach, 2014), nous a questionnée. Elle permet d’augmenter la motivation (e.g., Bai et al., 2020; Sailer et al., 2017) mais trop d’éléments distractifs peuvent aussi entraver les apprentissages (Falloon, 2013) par augmentation de la charge cognitive (Mayer, 2005) ou détournement de l’attention (Bus et al., 2015; Falloon, 2013; van der Kooy-Hofland et al., 2012). Un équilibre doit donc être trouvé et cette question, particulièrement importante pour les applications pour jeunes enfants, est encore peu étudiée. Pour déterminer si l’ajout d’éléments de gamification constitue un gain dans une application pour les enfants de CP, deux versions prototypes d’ECRIMO1 ont été développées (voir Figure 1).

Figure 1. Ecran d’accueil de la version basique (à gauche) et gamifiée (à droite) d’ECRIMO1.

Une étude pilote menée en juin 2020, dans 4 classes de CP en REP+, a permis d’établir l’utilisabilité et l’acceptabilité du prototype, sans différence significative entre les 2 versions. Une étude expérimentale a ensuite été menée entre octobre 2020 et janvier 2021. L’objectif était de tester l’efficacité d’ECRIMO1 par rapport à une pratique d’encodage papier-crayon et d’établir si la gamification apportait un gain. L’étude menée dans 25 classes de CP n’a confirmé aucune de ces deux hypothèses. Certes, les circonstances ne nous ont sans doute pas été favorables (étude menée avec des enfants et des enseignants ayant subi le 1er confinement quelques mois avant, et pendant la période du 2nd confinement). Mais cette expérience nous a permis d’effectuer une analyse détaillée d’ECRIMO avec l’aide des enseignants participants, qui a démontré la nécessité de modifier les contenus. C’est l’objet de notre projet, qui devrait permettre d’aboutir à un outil performant.

Objectifs et hypothèses

Le projet poursuit 2 objectifs. Il s’agira d’abord de développer ECRIMO2 grâce à une collaboration étroite avec une petite équipe d’enseignantes de CP ayant participé à l’expérimentation de 2020. Cette collaboration permettra de répondre aux défauts  repérés d’ECRIMO1. Il s’agira par exemple de rajouter des écrans d’explicitations (rappels explicites du code phono-graphémique avant les exercices), de répéter les mêmes items plusieurs fois pour favoriser la mémorisation et d’améliorer l’accès aux résultats des élèves pour les enseignants. Enfin, il s’agira de développer la possibilité d’une adaptation de l’application à la progression d’apprentissage du code grapho-phonémique de chaque classe. Le second objectif est de tester l’efficacité d’ECRIMO2, de déterminer la version la plus efficace (basique et gamifiée) pour l’acquisition de la lecture-écriture, et de vérifier également son acceptabilité et son utilisabilité. Notre hypothèse principale est que les élèves qui auront utilisé régulièrement ECRIMO2 en CP progresseront plus en lecture-écriture que ceux du groupe contrôle actif (i.e., ayant utilisé une application sans lien avec le code alphabétique). Compte-tenu des études déjà menées, nous prédisons également une meilleure efficacité de la version gamifiée sur la version basique, sans qu’il y ait de différence entre les 2 versions aux niveaux de l’utilisabilité et de l’acceptabilité. Enfin, nous pensons que l’usage de l’application permettra aux enseignants d’effectuer un travail dirigé en petits groupes de façon plus fréquente dans leur classe, ce qui devrait leur permettre de mieux aider, donc de plus faire progresser les élèves fragiles.

Description du projet (méthode, planification)

Pour répondre à ces objectifs, nous suivrons une démarche de recherche collaborative (Béguin & Cerf, 2004; Cèbe & Goigoux, 2018; Wang & Hannafin, 2005). La première étape, déjà effectuée, a consisté à co-construire (équipe chercheurs-enseignants) un 1er prototype (ECRIMO1) basé sur les connaissances scientifiques et à le tester dans quelques classes. Notre projet commence ici, par le passage du 1er au 2nd prototype en collaboration avec 5 enseignantes, suite aux remarques des 1ers utilisateurs et en s’appuyant sur plusieurs tests d’utilisation dans leurs classes. L’efficacité, l’utilisabilité et l’acceptabilité du 2nd prototype seront ensuite évalués dans un nombre suffisant de classes volontaires, sur 3 mois d’utilisation. Cette phase devrait aboutir aux derniers ajustements de l’application. L’impact d’ECRIMO2-”version finale” sur les pratiques d’enseignement en groupes de faible effectif et leurs conséquences sur les apprentissages sera évalué sur une année entière.

Le passage du 1er au 2nd prototype se fera en collaboration avec les chercheurs, le développeur d’ECRIMO1 et les 5 enseignantes volontaires (REP+ et HREP) ayant participé aux tests d’ECRIMO1. Entre septembre 2021 et janvier 2022, l’équipe se réunira 1 fois par mois (au minimum) pour discuter et élaborer les modifications à apporter. Pendant cette même période, les enseignantes testeront l’outil (sur versions intermédiaires) dans leur classe sur de courtes périodes, pour repérer les difficultés d’utilisabilité et proposer des améliorations. L’équipe élaborera les nouveaux contenus et le développeur les intégrera au fur et à mesure pour aboutir au prototype 2. Pendant cette même période, 36 classes de CP (minimum) seront recrutées pour le test du prototype 2 (classes équipées en tablettes Androïd autant que possible). L’équipe (chercheurs et enseignantes) élaborera et mettra en place la formation des enseignants pour l’utilisation du prototype 2 en atelier autonome dans leur classe.

Le test du prototype 2 s’effectuera de février à juin 2022. Les classes seront réparties aléatoirement en 3 groupes. Un groupe travaillera avec la version basique, un autre avec la version gamifiée et le 3ème groupe contrôle actif travaillera sur l’application Luciole qui cible la compréhension orale de l’anglais (prototype développé dans le projet e-Fran Fluence en s’appuyant sur les instructions officielles, MEN, 2015). L’efficacité du prototype 2 sera testée par un protocole classique prétest-intervention-postest, avec des épreuves de prétests (février 2022) et postests (juin 2022) portant sur les compétences de lecture et écriture adaptées au milieu et à la fin du CP (testant notamment la fluence de décodage, l’écriture de mots et de pseudo-mots). Une échelle d’utilisabilité (SUS, System Usability Scale, Brooke, 1996) sera renseignée par les enseignants. Des observations, questionnaires, entretiens et groupe de travail seront mis en place afin de récolter les avis des utilisateurs (élèves et enseignants). Le jugement d’appétence des élèves (questionnaire de Pila et al., 2019) et leur temps de jeu seront aussi récoltés à la fin de la période d’intervention. L’ensemble de cette étude sera effectuée grâce au recrutement d’un post-doctorant (7 mois, de janvier à juillet 2022).

Grâce aux données recueillies, les dernières modifications seront apportées à l’application (juillet-septembre 2022) et nous choisirons son habillage définitif (basique ou gamifié). La dernière étape du projet consistera à étudier l’impact de l’usage de cette version définitive sur les pratiques d’enseignement, dans des conditions écologiques pendant l’année scolaire 2022-2023. Nous comparerons ici 2 groupes de classes, l’un utilisant ECRIMO2 et l’autre pratiquant l’encodage en version papier-crayon. Au-delà de l’efficacité de la pratique de l’encodage, l’objectif sera ici de vérifier si l’utilisation de cette application sur tablettes permet aux enseignants de mener, plus fréquemment que si la même activité est menée en condition papier-crayon, des activités dirigées en groupes de petit effectif. Nous évaluerons aussi si cette fréquence accrue de travail en groupes de petit effectif a un impact particulier sur les élèves en difficulté. En octobre, nous fournirons le matériel (aléatoirement, ECRIMO2 ou le protocole d’exercices d’encodage papier-crayon), accompagné d’un temps de formation, aux enseignants de CP. Les résultats des évaluations nationales serviront de mesures prétests et postests des progrès des élèves. Nous récolterons les pratiques enseignantes (fréquence du travail en groupes de faible effectif) par plusieurs temps d’observation dans les classes et un questionnaire aux enseignants. Ce travail sera mené dans le cadre de stages de Master (M2 Sciences cognitives, M2 psychologie et/ou M2 Sciences de l’éducation).

Description des ressources à produire

L’application ECRIMO développée (pour tablettes tactiles Androïd) propose un ensemble d’exercices d’écriture, avec un tableau de bord pour l’élève et une interface de suivi des activités d’élève pour l’enseignant. Elle contient près de mille items et feedbacks sonorisés. A l’issue de l’étude, les modalités de commercialisation et de diffusion de l’application améliorée seront définies en accord avec les Editions Hatier, selon les usages en cours en 2023 pour l’accès des enseignants aux ressources numériques (conditions RGPD, pratique de l’ENT notamment; ces usages étant en évolution, il est difficile d’être plus précis au moment de la rédaction de ces lignes).

 

Le projet ECRIMO2 lance actuellement un appel à volontaires pour participer à sa phase 2, de février à juin 2022. Si vous êtes enseignant.e en CP et intéressé.e pour participer, vous pouvez consulter le document « appel à volontaires » à télécharger ici et vous inscrire ici.